lundi 5 décembre 2011

Elections 2011 - les complications

Si vous croyiez que vous alliez vous en tirer comme ca, je n'ai qu'une chose à vous dire: Welcome to Egypt. 
(NB.: Pour mieux comprendre cet article, cf l'article juste avant).

Le plus important, ce que vous devez retenir, c'est qu'on ne peut avoir AUCUNE idée de qui est en train de gagner les élections. Même si tous les journaux crient haut et fort que ce sont les Frères Musulmans, et ensuite le Parti de la Lumière (Hizb el Nour) salafiste, les cartes sont loin d'être toutes jouées. Je m'en vais vous le prouver; et aussi, je vous avais promis un casse-tête électoral.
Chose due, donc; yalla bina. Comme tout en Egypte, ça va prendre un peu de temps, j'espère que vous n'êtes pas pressés.

Il y a trois complications à ce processus d'élections, qui viennent du système même.

La première, c'est la faible magnitude dans les circonscriptions électorales. En fait, tous les districts (les circonscriptions) n'élisent pas le même nombre de sièges. Les plus petits districts élisent tous deux sièges au scrutin majoritaire. Les autres, plus grands, élisent au scrutin proportionnel un nombre variable de sièges en fonction de leur population. Ca va de 2 à 15; c'est ce qu'on appelle la magnitude, ou l'ampleur de la circonscription. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup plus de districts à faible ampleur qu'à forte ampleur. Et à la proportionnelle, c'est difficile de bien respecter les proportions quand il n'y a que deux sièges à allouer: seuls les deux partis les plus populaires auront des sièges, et on perd tous le sens des élections proportionnelles, qui doivent favoriser les petits partis. 

La seconde complication, c'est ce qu'on appelle l'interprétation pharaonique du plus grand reste. Ca fait peur, hein.
Voyons cela: dans un système proportionnel, on gagne autant de sièges en proportion qu'on gagne de votes en proportion. C'est-à-dire, si ma liste gagne 40% des votes, j'obtiens 40% des sièges.
En Egypte, on marche avec un système de coefficient. C'est à-dire qu'on choisit un coefficient en nombre de votes valides, mettons par exemple 20 000 votes valides. Si j'obtiens 20 000 votes (= une fois le coefficient), j'obtiendrai un siège. Si j'obtiens 40 000 votes (= deux fois le coefficient), j'obtiendrai deux sièges. Si j'obtiens 50 000 votes (= deux fois le coefficient plus un reste), j'obtiendrai deux sièges et il me restera 10 000 votes. 

Une fois qu'on a alloué tous les sièges complets, il faut allouer les sièges fractionnés, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas été gagnés complètement. C'est là qu'on applique la méthode du plus grand reste: c'est celui qui a le plus grand nombre de votes restants qui emporte le siège fractionné. Il y a d'autres méthodes, bien entendu, mais c'est celle-ci qui est appliquée en Egypte. 

Là où ça se corse, c'est quand se pose la question de l'interprétation pharaonique du plus grand reste. Ca veut dire interprétation restrictive: les petits partis ne sont pas pris en compte. On n'allouera les sièges restants qu'aux grands partis, dans le but de réduire le nombre de partis et d'avoir plus de stabilité. C'est appliqué seulement en Irak au jour d'aujourd'hui, et ça distord complètement les résultats. La Commission électorale a dit qu'elle ne s'était pas encore décidée sur la question.

La troisième complication, c'est que les règles pour appliquer les quotas n'ont pas encore été décidées. Rien ne presse, remarquez, nous n'en sommes jamais qu'à 2 semaines d'élections, ce n'est pas comme si on avait besoin de savoir maintenant. 
Je pense à un quota en particulier, qui dit que 50% ou plus des sièges au Parlement doivent être tenus par des "ouvriers" ou des "fermiers", le reste étant tenu par des "professionnels" (médecins, fonctionnaires, ingénieurs, etc). Le critère de sélection n'est pas bien clair, et c'était d'ailleurs l'une des grandes causes de fraude électorale sous Moubarak. Ensuite, ça coince avec les têtes de liste: bien sûr, les professionnels veulent être en tête de listes. La loi dit que la liste doit alterner entre professionnel et ouvrier/fermier, mais ne précise pas qui est la tête.
C'est déjà un peu problématique avec les proportionnelles; mais attendez de voir avec les majoritaires. 

La même loi s'applique pour le tiers des représentants élus au scrutin majoritaire. Seulement, le système égyptien veut qu'il y ait deux sièges à la majorité dans chaque district, et non pas un seul. Il y aura donc deux élus, et la loi dit que les deux candidats doivent obtenir une majorité absolue (c'est-à-dire 50% des voix plus une), et l'un d'eux au moins doit être ouvrier/fermier. Impossibilité mathématique!
Alors là, il y a un peu de magie égyptienne: comme on vote pour deux candidats, en fait on met deux croix sur chaque bulletin de vote. Ce qui fait qu'au lieu d'avoir, mettons 100 000 votes, on en a en réalité 200 000 pour 100 000 votants. L'horizon de calcul est donc 200%, mais comme on calcule la majorité absolue sur la base de 50%, on peut avoir deux candidats qui l'ont!!! on peut même en avoir trois, ce qui est problématique. 
La question est: comment va-t-on faire pour respecter le quota des 50% d'ouvriers et de fermiers, sachant que la probabilité qu'il se réalise tout seul est plus mince que Keira Knightley? Là encore, la Commission électorale a dit qu'elle réfléchissait.

Dans tous les cas, on aboutira à une distorsion des résultats. 

C'est inquiétant, parce que si les gens se retrouvent avec des représentants pour lesquels ils n'ont pas voté à cause des distorsions du système, on n'est pas bien sûr de leur réaction envers les prochaines élections. Peut-être même qu'ils n'attendront pas les prochaines; mais je n'y serai peut-être plus pour le voir.


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