mercredi 21 décembre 2011

Cachez ce sein que je ne saurais voir

Ca barde sur Tahrir et aux alentours, les femmes se font traîner par terre, déshabiller et tabasser à coup de pieds et de battes, on tire sur les gens à bout portant, personne n'y croit plus et tout le monde est désabusé.
Comme il ne faut pas se laisser abattre, je vais quand même vous montrer quelque chose de fantastique que j'ai découvert en regardant un clip a la télé.
C'est une poupée, qui dit non non nonnonnon. Elle s'appelle Fulla: c'est un nom de fleur en arabe.

C’est la Barbie du monde islamique, introduite sur vos marchés et  vos écrans en 2003.
Il a bien fallu, parce que nous les filles on veut des Barbie. Mais comme a dit le Comité pour la Promotion de la Vertu et la Prévention du Vice en Arabie Saoudite: “Les poupées Barbie juives, avec leurs vêtements décolletés et leurs postures, accessoires et instruments honteux, sont un symbole de décadence de l’Ouest perverti. Prenons garde et méfions-nous de leurs dangers”.
Et voila le clip que j'ai vu a la télé; c'est gratiné, vous allez voir.



Fulla se lève le matin, tout va bien, les oiseaux chantent; elle cueille une fleur. Un beau cheval blanc arrive; elle l'enfourche - ah non, elle le monte en amazone. My mistake.
Elle galope à travers monts et vaux et traverse tous les pays du Moyen-Orient musulman, qu'il faut reconnaître aux mosquées en arrière-plan; je ne suis pas tres calée, mais on peut jouer si vous voulez. Dans chacun elle cueille une fleur.
C'est en Palestine que se termine son périple foulard au vent. Elle s'agenouille sur le sol de la terre usurpée et profanée, pose son bouquet de fleurs, et pleure. Entre ses larmes, elle prie au soleil levant.  

C'est diffusé sur les chaînes saoudiennes dans les pays arabes musulmans.
PS: Petit bonus: presque toutes les poupées Fulla recitent la Fatiha, la sourate d'ouverture du Coran, si vous poussez un bouton dans leur dos. 
PPS: c'est plus facile d'atteindre le bouton quand on la déshabille.  
Et quand vous sortez Fulla de la maison, n’oubliez pas de lui mettre sa nouvelle abaya de printemps noir cassé, derniere collection!

samedi 10 décembre 2011

Siwa - A fingerprint in the heart

Je pars demain pour la France, c'est la fin de 6 mois riches en rebondissements; mais vous, vous ne pouvez pas quitter l'Egypte sans avoir vu Siwa. L'oasis loin à l'ouest à la frontière de la Lybie, le foyer des Siwis à l'ascendance Berbère de tous les pays du Moyen-Orient, et mon coup de foudre égyptien.

Une des mosquées de la ville, depuis la terrasse sur le toit de notre hôtel, lors de mon troisième voyage à Siwa.
Une des sources chaudes; ça sent fort le soufre et le sable.


Le marché de la ville un vendredi matin.






Les rues de Shali, la vieille ville fortifiée et abandonnée lors de la Seconde Guerre Mondiale.
Les murs, les maisons et les escaliers sont en boue et en pierres.



Julien, deguisé en femme siwi.
Au bord de l'île de Fatnas, pour le coucher du soleil...

Mais avant, un peu de grimpette. Si eux y arrivent, il n'y a pas de raison pour qu'on ne décroche pas ces dattes.




Un petit thé sur votre chaise en bambou... Ici Julien, Sarah et Benjamin.

La vue de l'oasis depuis la Montagne des Morts, ou se trouvent des tombes avec des hieroglyphes au style greco-egyptien antique. On ne peut pas tous faire comme les pharaons.
La mer de palmiers...
Les lacs de l'oasis...



Et dans le fond les dunes du désert.



Le temple de l'Oracle, duquel Alexandre le Grand (où que vous alliez au Moyen-Orient, Alexandre le Grand est passé avant vous, même dans un oasis paumé en Egypte) est redescendu avec sa révélation: il est le fils d'Amon Ra. Alors maintenant, il faut l'adorer et il règne légitimement sur l'Egypte. Ha.
Julien et Benjamin...




Les lacs, encore.


Le plus bel endroit d'Egypte, et a7ssan nass: les meilleures gens, si on me demande mon avis. Mais plusieurs vous opposeront que Siwa, ce n'est pas l'Egypte... pour le bon et pour le moins bon.  

يا... يا الميدانYa... ya el midan




Un aperçu du discours sur Tahrir, avec espoir enflammé et fierté nationale à la clef. C'est une chanson de Cairokee, un groupe contemporain populaire chez les lycéens et les étudiants en ce moment. On l'écoute pas mal, nous aussi.

C'est un hymne à la place et la Révolution; et c'est frappant, quand on pense à l'écart entre ces paroles et ce qui est vraiment en train de se passer dans le pays. Peut-être que ça illustre la désillusion de Tahrir, et ce qu'il y a de dérisoire à camper toutes les nuits sous une tente devant un Ministère de l'Intérieur qui recompte ses canons, pendant que les Frères Musulmans s'assoient aux bureaux de vote à côté des juges pour aider les votants à trouver leur numéro d'identification, tant qu'on ne leur dit rien.

El midan veut dire la place en arabe.


lundi 5 décembre 2011

Elections 2011 - les complications

Si vous croyiez que vous alliez vous en tirer comme ca, je n'ai qu'une chose à vous dire: Welcome to Egypt. 
(NB.: Pour mieux comprendre cet article, cf l'article juste avant).

Le plus important, ce que vous devez retenir, c'est qu'on ne peut avoir AUCUNE idée de qui est en train de gagner les élections. Même si tous les journaux crient haut et fort que ce sont les Frères Musulmans, et ensuite le Parti de la Lumière (Hizb el Nour) salafiste, les cartes sont loin d'être toutes jouées. Je m'en vais vous le prouver; et aussi, je vous avais promis un casse-tête électoral.
Chose due, donc; yalla bina. Comme tout en Egypte, ça va prendre un peu de temps, j'espère que vous n'êtes pas pressés.

Il y a trois complications à ce processus d'élections, qui viennent du système même.

La première, c'est la faible magnitude dans les circonscriptions électorales. En fait, tous les districts (les circonscriptions) n'élisent pas le même nombre de sièges. Les plus petits districts élisent tous deux sièges au scrutin majoritaire. Les autres, plus grands, élisent au scrutin proportionnel un nombre variable de sièges en fonction de leur population. Ca va de 2 à 15; c'est ce qu'on appelle la magnitude, ou l'ampleur de la circonscription. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup plus de districts à faible ampleur qu'à forte ampleur. Et à la proportionnelle, c'est difficile de bien respecter les proportions quand il n'y a que deux sièges à allouer: seuls les deux partis les plus populaires auront des sièges, et on perd tous le sens des élections proportionnelles, qui doivent favoriser les petits partis. 

La seconde complication, c'est ce qu'on appelle l'interprétation pharaonique du plus grand reste. Ca fait peur, hein.
Voyons cela: dans un système proportionnel, on gagne autant de sièges en proportion qu'on gagne de votes en proportion. C'est-à-dire, si ma liste gagne 40% des votes, j'obtiens 40% des sièges.
En Egypte, on marche avec un système de coefficient. C'est à-dire qu'on choisit un coefficient en nombre de votes valides, mettons par exemple 20 000 votes valides. Si j'obtiens 20 000 votes (= une fois le coefficient), j'obtiendrai un siège. Si j'obtiens 40 000 votes (= deux fois le coefficient), j'obtiendrai deux sièges. Si j'obtiens 50 000 votes (= deux fois le coefficient plus un reste), j'obtiendrai deux sièges et il me restera 10 000 votes. 

Une fois qu'on a alloué tous les sièges complets, il faut allouer les sièges fractionnés, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas été gagnés complètement. C'est là qu'on applique la méthode du plus grand reste: c'est celui qui a le plus grand nombre de votes restants qui emporte le siège fractionné. Il y a d'autres méthodes, bien entendu, mais c'est celle-ci qui est appliquée en Egypte. 

Là où ça se corse, c'est quand se pose la question de l'interprétation pharaonique du plus grand reste. Ca veut dire interprétation restrictive: les petits partis ne sont pas pris en compte. On n'allouera les sièges restants qu'aux grands partis, dans le but de réduire le nombre de partis et d'avoir plus de stabilité. C'est appliqué seulement en Irak au jour d'aujourd'hui, et ça distord complètement les résultats. La Commission électorale a dit qu'elle ne s'était pas encore décidée sur la question.

La troisième complication, c'est que les règles pour appliquer les quotas n'ont pas encore été décidées. Rien ne presse, remarquez, nous n'en sommes jamais qu'à 2 semaines d'élections, ce n'est pas comme si on avait besoin de savoir maintenant. 
Je pense à un quota en particulier, qui dit que 50% ou plus des sièges au Parlement doivent être tenus par des "ouvriers" ou des "fermiers", le reste étant tenu par des "professionnels" (médecins, fonctionnaires, ingénieurs, etc). Le critère de sélection n'est pas bien clair, et c'était d'ailleurs l'une des grandes causes de fraude électorale sous Moubarak. Ensuite, ça coince avec les têtes de liste: bien sûr, les professionnels veulent être en tête de listes. La loi dit que la liste doit alterner entre professionnel et ouvrier/fermier, mais ne précise pas qui est la tête.
C'est déjà un peu problématique avec les proportionnelles; mais attendez de voir avec les majoritaires. 

La même loi s'applique pour le tiers des représentants élus au scrutin majoritaire. Seulement, le système égyptien veut qu'il y ait deux sièges à la majorité dans chaque district, et non pas un seul. Il y aura donc deux élus, et la loi dit que les deux candidats doivent obtenir une majorité absolue (c'est-à-dire 50% des voix plus une), et l'un d'eux au moins doit être ouvrier/fermier. Impossibilité mathématique!
Alors là, il y a un peu de magie égyptienne: comme on vote pour deux candidats, en fait on met deux croix sur chaque bulletin de vote. Ce qui fait qu'au lieu d'avoir, mettons 100 000 votes, on en a en réalité 200 000 pour 100 000 votants. L'horizon de calcul est donc 200%, mais comme on calcule la majorité absolue sur la base de 50%, on peut avoir deux candidats qui l'ont!!! on peut même en avoir trois, ce qui est problématique. 
La question est: comment va-t-on faire pour respecter le quota des 50% d'ouvriers et de fermiers, sachant que la probabilité qu'il se réalise tout seul est plus mince que Keira Knightley? Là encore, la Commission électorale a dit qu'elle réfléchissait.

Dans tous les cas, on aboutira à une distorsion des résultats. 

C'est inquiétant, parce que si les gens se retrouvent avec des représentants pour lesquels ils n'ont pas voté à cause des distorsions du système, on n'est pas bien sûr de leur réaction envers les prochaines élections. Peut-être même qu'ils n'attendront pas les prochaines; mais je n'y serai peut-être plus pour le voir.


Elections 2011 - recette d'un échec annoncé

Aujourd'hui les mêmes gouvernorats que pour le 28 et 29 novembre retournent aux urnes, pour élire l'Assemblée du peuple, qui est la Chambre basse du Parlement. On va faire un zoom le système, et vous allez voir que ce n'est pas du basboussa.

Ici, on aime faire les choses simplement. Et pour qu'on se marre un peu, on élira les représentants de l'Assemblée comme suit:
- on votera en trois étapes réparties sur quatre mois. A chaque étape, un tiers des 29 gouvernorats d'Egypte votera.
- 498 membres de l'Assemblée du peuple seront élus par les citoyens (c'est-à-dire, s'ils arrivent à se faire faire une carte d'électeur d'ici là). Parmi ces 498 membres:
          - un tiers (166 sièges) par un scrutin uninominal majoritaire à deux tours
          - deux tiers (332 sièges) par un scrutin proportionnel à listes, a un tour.
-10 autres seront désignés par le chef du Conseil Suprême des Forces Armées (SCAF) et chef d'Etat de facto pour l'instant, le conspué maréchal Hussein Tantawi.

NB.: A propos, cette Assemblée ne servira à rien: le SCAF est toujours au-dessus d'elle et ils parlent plus fort. Pour les dernières nouvelles concernant le possible renversement du Maréchal, se renseigner place Tahrir (mais je vous avertis que les chances sont minimes).

Donc ce qu'on fait ce matin et demain, c'est le second tour des élections d'un tiers de l'Assemblée au scrutin majoritaire. Parce que bien sûr, personne n'a eu la majorité absolue, 50% des voix +1; donc on est repartis.

Ce matin, personne dans les bureaux de vote. Il y a huit jours, il y avait une queue de 8 heures devant toutes les écoles, et personne n'en démordait. Je n'ai pas vu ce qu'il en était en sortant du boulot; peut-être que les gens ont décidé d'y aller après le travail pour ne pas perdre encore la journée. Ou alors, il se pourrait bien qu'ils ne sachent pas qu'il y a un deuxième tour des élections. Personne ne comprend rien au système, d'abord (vous allez voir pourquoi plus tard). Ensuite, jusqu'à hier soir, on pensait tous qu'elles étaient annulées; c'est ce que disaient les communiqués de presse. Et ce matin, on découvre qu'elles ont lieu. 


Garons-nous là juste un instant pour faire un état des lieux des élections jusqu'à présent: comme c'est Sciences Po qui m'a appris à écrire et qu'ils aiment la symétrie versaillaise, j'ai trois points positifs et trois points négatifs.

Ce qui est bien, c'est qu'elles ont eu lieu. Ceci avec Tahrir recouvert de gaz, alors qu'à la veille on n'était même  pas sûr qu'elles seraient maintenues, pour cause de sécurité. Aussi, elles se sont déroulées gentiment, sans bain de sang, même pas d'émeutes. Et finalement, beaucoup de gens y sont allés, et parmi eux beaucoup de femmes. Les élections importent aux gens et ils veulent s'assurer qu'on ne les leur vole pas. C'est drôlement bien, vu qu'avant ils s'en foutaient; le manque de suspense, ça vous détruit la motivation tout de suite.

Ce qui est moins bien, c'est que c'est le bazar. Il n'y a pas de procédure fixée pour régler les problèmes administratifs et de comptage: alors on improvise, il faut bien, et les choses sont faites différemment dans chaque bureau de vote. En plus, le personnel est mal entraîné et n'a pas vraiment d'idée de ce qu'il fait, pas plus qu'il ne sait comment s'y prendre; tout ça ne joue pas en faveur des comptes d'apothicaire.
Ensuite, il leur a quand même fallu 4 jours pour publier les résultats de la première tournée, alors qu'ils avaient prévu un seul jour; c'est-à-dire qu'ils ont été publiés vendredi au lieu de mardi soir. Le miracle, c'est comment ils ont réussi à organiser le deuxième tour des élections majoritaires du premier tiers des gouvernorats pendant le week-end. Probable que les candidats ne savaient même pas qu'ils étaient au deuxième tour jusqu'à cet après-midi.
Finalement, selon les pratiques internationales, ça ne se fait pas d'annoncer les résultats d'élections partielles. Ca influence l'opinion des gens, ça excite les ardeurs et ça incite à taper sur le gars d'en face.

Ce n'est pas un fiasco. Mais pour que d'ici quatre mois, ça donne quelque chose sur lequel on puisse se faire les dents, il va falloir qu'Allah soit drôlement coopératif. 

Mon avis, c'est que peu importe qui gagne ces élections, finalement. Ce qui importe, c'est comment elles se déroulent, parce que le but c'est quand même que les gens y retournent la fois prochaine, pour éjecter les vainqueurs de celle-ci dans l'hypothèse où ils ne seraient pas contents. Comme ils sont rodés au boycottage indolent, ça n'arrivera que s'ils ont confiance dans le processus; et s'il n'y a pas trop de dégâts pour l'instant, la route est longue et le fil est mince d'ici début mars.




mercredi 23 novembre 2011

Nil... Nil, Nil...

"Connaissez-vous cet ancien poème égyptien, très beau du reste, qui dit..."

Une accalmie au Caire pendant les élections, hormis quelques thugs envoyés hier soir pour déloger les manifestants de la place, sans résultats bien sûr. Ils ont l'air décidés à rester, beaucoup d'entre eux ont boycotté les élections, et Tantawi n'est pas près de tomber. Voilà où nous en sommes, avec une avance bien appuyée pour les Frères Musulmans, d'après les rumeurs. Du coup, la moitié des femmes de mon bureau à l'ONU portaient des robes courtes et des collants aujourd'hui.

On va en profiter pour un petit plongeon dans le passé, c'est-à-dire il y a un mois quand Maman, Patricia et Thibaud sont venus voir. Ce message est surtout pour la famille et les amis qui voudraient voir les photos. Comme il y en a beaucoup, BEAUCOUP, je vous propose l'anthologie, les collectors, les inratables de la semaine mémorable qu'on a passée entre les rives du Nil, les pattes des chameaux et les minarets du Caire. Elles se passent de commentaire, pour la plupart.


























Et ce n'est que le premier de nombreux voyages, dixit Mater; la prochaine fois, l'Inde, le Canada, l'Australie, et que sais-je encore.