mercredi 23 novembre 2011

S'en ira, s'en ira pas

C'est stable sur Tahrir, la situation s'est tranquillisée.

C'est ce qu'on entend depuis ce matin 23 Novembre, quand depuis cinq jours on plissait un peu le nez sous les gaz lacrymogènes qui pleuvaient sur la foule et les cadavres qui circulaient dans des boîtes. Pas que ça change grand-chose pour nous, les officiellement non-impliqués; quand on n'est pas sur la place même, on mène une petite vie tranquille en écoutant les oiseaux comme aux jours de l'ancien régime.

En réalité, c'est toujours à peu près stable, sur Tahrir. Là où ça chauffe, c'est dans deux rues perpendiculaires qui donnent directement sur la place: la rue Mohamed Mahmoud, qui longe le campus de l'Université Américaine du Caire, et la rue Qasr-el-3ainy, qui donne accès au Ministère de l'Intérieur et au Parlement. C'est cette disposition qui a décidé de la dynamique de la castagne autour de la place.

Parce que finalement, à part le symbole et un rond d'herbe où c'est quand même plus facile de planter les tentes que sur du béton, Tahrir ne donne rien ni aux manifestants ni au Conseil Suprême des Forces Armées. C'est entre ces deux rues-là et la place que se joue un va-et-vient continuel, absurde et sanglant entre les manifestants et la police.

Si les manifestants laissent la police avancer trop, ils perdent la place, et on n'est quand même pas resté toutes ces nuits pour finir comme ça. Si la police laisse les manifestants avancer trop, ils menacent de prendre le ministère de l'Intérieur d'assaut, les archives et la documentation vont y passer, et on ne peut pas prendre le risque. Personne ne veut vraiment avancer, mais il faut quand même monter au casse-pipe pour ne pas mollir et perdre du terrain. Alors on balance des pierres et des cocktails molotov d'un côté, et on attend les gas lacrymogènes et les balles de l'autre. Les balles étaient en caoutchouc, au début, ce qui n'en a pas empêché plusieurs d'y passer à la suite de leurs blessures; maintenant on ne rigole plus, et ça tire à balles réelles.

C'est comme le 25 janvier, on entend dire. La différence, c'est que les gens sont bien préparés. Des réflexes sont pris, et c'est comme changer les couches de bébé, ça ne s'oublie pas. La nuit, aux alentours de la place, on peut acheter le kit du révolutionnaire pour 15 guinées: lunettes fermées en plastique et masque respiratoire, qualité garantie efficace même pour armes chimiques périmées depuis l'époque nazie. Tout le monde circule avec son sac à dos, le chech imbibé de vinaigre pour couper les effets des lacrymo, dans le sac 4 bouteilles de sérum physiologique pour les yeux et des barres de céréales. Des hôpitaux de fortune se sont montés autour de la place et des centaines de gens défilent pour donner leur sang tous les jours. Je suis allée ce matin à celui de Qasr-el-3ainy à 15 minutes de marche, qui inspire un peu plus confiance, et on m'a renvoyée chez moi: trop de sang déjà et pas assez de temps pour l'analyser.

Le problème, bien sûr, c'est qu'en face c'est la même chose. Personne n'est prêt à lâcher le morceau. Hier, ce n'était plus des gas lacrymo qui tombaient du ciel, mais un produit chimique, qui t'empêche de respirer et finit par te faire tomber dans les pommes. C'était juste après l'intervention de Tantawi à la télé (comme ça on peut dire que les gens ont quitté la place après avoir entendu le discours). Il a fixé le 30 Juin pour les élections présidentielles, et au cas où les gens ne seraient toujours pas contents, il a proposé d'organiser un  référendum: "Voulez-vous que le SCAF reste au pouvoir" (réponse A), ou "Préférez-vous qu'il passe le pouvoir à un gouvernement civil" (réponse B).

C'est assez finement joué, parce qu'on ne peut pas leur reprocher de ne pas donner sa voix au peuple. Et je n'y connais pas grand-chose, mais il me paraît probable que le vote majoritaire demande le SCAF au pouvoir. Tahrir, finalement, c'est une goutte d'eau dans le Nil à travers l'Egypte, même si on la voit bien parce qu'elle est rouge. C'est joli de passer le pouvoir aux civils, mais à qui? Il n'y a personne pour l'instant, et personne ne veut se mettre d'accord sur un nom. El Baradei, mais on ne lui fait pas confiance, c'est un espion étranger; Untel, mais il fait partie des anciens du régime; Untel, mais.... Le consensus populaire, c'est de la blague.

Personne ne sait où il va; ce qui est sûr, c'est qu'on y va.


1 commentaire:

  1. Marine Guarín, fait attention a toi! On te suit de loin avec Pipe!
    Bisous,
    Camille

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